L'ABOLITIONNISME ET LES NOIRS AU XIXe SIECLE Si un Schœlcher insista avec force pour que les nouveaux affranchis des Antilles reçoivent la totalité de leurs droits civiques, ce ne fut pas le cas de tous les abolitionnistes dont les hésitations venaient de l'ambivalence qui marquait leur attitude envers les Noirs... Tout en se prononçant contre le maintien de ceux-ci
dans l'esclavage, ils ne pouvaient se résoudre à faire d'eux
leurs égaux. La suppression de l'esclavage ne les fit pas juger
différemment leurs frères de couleur. La croyance en l'infériorité
des Africains était donc plus qu'un simple pilier intellectuel
du système esclavagiste puisque, même après 1848,
nombre d'abolitionnistes s'y raccrochaient encore. Par exemple, Augustin
Cochin, protestant antiesclavagiste et auteur d'une histoire de l'abolitionnisme,
affirme que le succès du mouvement abolitionniste représente
une victoire de l'humanité — tout en faisant des Africains
vivant sur leur sol natal des barbares éloignés de toute
civilisation et appartenant à une « race inférieure
». L'accueil réservé à La Case de l'oncle Tom
prouve que cette attitude pétrie d'ambiguïté n'était
pas l'apanage du seul Cochin. La traduction du roman de Harriett Beecher
Stowe connut un immense succès en France. Selon E. Lucas, «
au cours des premiers mois de l'année 1853, on n'avait qu'à
afficher une pièce "noire" pour attirer la foule ».
Au comice agricole de Poissy, le gagnant fut un taureau du nom d'Oncle
Tom ; d'autres participants se nommaient Saint-Clair et Shelby1. Malgré
ces manifestations de sentimentalité des années 1850, les
opinions racistes imprégnaient encore l'esprit de ceux-là
même qui versèrent tant de larmes au récit des infortunes
de l'oncle Tom. C'est ainsi que Théophile Gautier déclarait
dans son analyse du célèbre roman américain que l'esclavage
représentait pour la race noire un des agents de civilisation possibles,
tout en se défendant de vouloir justifier une telle institution.
Alfred Michiels, lui aussi critique littéraire, trouvait bien sûr
l'esclavage injuste mais il n'en jugeait pas moins le Noir comme étant
dénué de sensibilité, incapable d'éprouver
la moindre souffrance et stupide « comme une oie »2. Dans
les années 1960, on a reproché à Harriet Beecher
Stowe son attitude « paternaliste » envers les Noirs ainsi
que son aveuglement concernant la part prise par l'esclavage dans la dégradation
de ses victimes. La romancière américaine faisait de a bons
» Noirs de ceux qui se soumettaient alors qu'elle jugeait sévèrement
ceux qui se rebellaient5. Néanmoins — et ceci vaut la peine
d'être noté — ses admirateurs français trouvèrent
qu'elle était allée trop loin dans sa négrophilie.
Alfred Michiels, traducteur de La Case de l'oncle Tom et abolitionniste
lui-même, déclara que l'esclavage avait non pas provoqué
la dégénération des Africains mais au contraire favorisé
leur accès à la civilisation. Si l'on voulait se donner
la peine d'observer les Noirs dans leur Afrique natale, « loin de
toute influence européenne », on se rendrait compte qu'ils
forment « la plus stupide, la plus perverse, la plus sanguinaire
des races humaines » et qu'ils « croupilssent] dans cette
immobilité », ne faisant preuve d'« aucun progrès,
aucune invention, aucun désir de savoir, aucune pitié, aucun
sentiment ». Et Michiels d'ajouter : « La couleur noire, la
couleur des ténèbres, est vraiment le signe de [leur] dépravation1.
» (Francais et Africains William B. Cohen ) |
|
||
|
|||