L'ELABORATION DES DECRETS DE 1848
APPLICATION IMMÉDIATE ET CONSÉQUENCES À LONG TERME
Nelly Schmidt
C.N.R.S. Université d'Aix-Marseille I - Université de Paris X, Nanterre (1)
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Les abolitions de l'esclavages
Presses Universitaires de Vincennes
éditions UNESCO

Le décret français d'abolition de l'esclavage a une histoire paradoxale. Ignoré de la plupart des manuels scolaires, il semble en revanche être pour beaucoup un texte connu, sanction républicaine imposée sans appel à un ancien régime colonial qui se serait ainsi trouvé définitivement vaincu. Le texte que vota le Gouvernement provisoire en 1848 supprimait juridiquement l'esclavage qui sévissait dans les colonies françaises de manière immédiate. Il tranchait par rapport aux colonies britanniques voisines où l'émancipation avait été progressive, entre 1833 et 1838. On se limite souvent à cette considération lorsqu'on évoque cette seconde émancipation française, envisageant en fait l'année 1848 dans les colonies comme celle de l'émancipation, aspect positif, humanitaire de l'action du gouvernement constitué à l'issue des journées révolutionnaires de février.


Un homme, Victor Schœlcher, abolitionniste connu de l'esclavage, était l'auteur d'un décret républicain qui était lui-même perçu comme une émanation directe de la Révolution française et des principes de 1789, porteur de promesses d'assimilation politique alors considérée comme révolutionnaire. La promulgation du décret aurait déclenché une chute des productions, un abandon du travail et des troubles politiques. On n'en retint donc qu'une impression de confusion en ne distinguant les débuts d'une construction politique locale qu'après 1871.


C'était ainsi occulter de nombreux aspects du décret lui-même, de son élaboration, des influences qu'elle subit, des résistances qu'elle provoqua, du contexte international dans lequel elle s'est inscrite et, bien sûr, des effets de ce texte législatif dans le court et dans le plus long terme. Il est certes hors de propos de conférer à un simple décret une portée démesurée et sans rapport avec une réalité historique ô combien complexe. La lecture des comptes rendus des travaux de la commission qui l'élabora puis un examen attentif de son contenu permettent toutefois de repérer quelles furent les grandes lignes de la politique coloniale française post-abolitionniste.

Je me propose d'envisager les points suivants :


- la distinction des objectifs que se fixa la Commission d'abolition, des influences auxquelles elle fut sensible, des enquêtes qu'elle mena ;
- une rapide analyse des résistances qui apparurent en son sein et lors qu'elle remit ses premiers rapports au ministère de la Marine et des Colonies ;
- un bilan des décisions qu'elle prit et des recommandations qu'elle émit à l'intention des administrateurs coloniaux et du ministère ;
- les premières modalités d'application du décret et des décrets annexes qui l'accompagnèrent, les premières instructions dont les commissaires généraux de la République étaient porteurs ;
- enfin, je tracerai les perspectives des conséquences à court et à long terme de l'application du décret dans les colonies françaises des Caraïbes.
Je rappelle dans un premier temps la succession des faits, cadre chronologique succinct mais important pour notre compréhension des problèmes qui se sont posés dans un contexte de tension sociale très vive, accentuée depuis une quinzaine d'années par la promulgation de l'émancipation dans les colonies britanniques voisines :


- 3 mars 1848 : entrevue de Victor Schœlcher avec François Arago,ministre de la Marine. Il lui affirme que le maintien de l'esclavage qu'il a accepté sous la pression des délégations de colons provoquera des incidents similaires à ceux de Saint-Domingue/Haïti quelques décennies plus tôt ;
- 4 mars : le Gouvernement provisoire adopte le principe d'une suppression de l'esclavage dans les colonies françaises ;
- 5 mars : Schœlcher est nommé par Arago sous-secrétaire d'État aux Colonies et président de la Commission d'abolition de l'esclavage qu'il compose immédiatement en prenant soin - fait exceptionnel et inédit dans l'histoire des commissions chargées des affaires coloniales - de n'y faire participer aucun colon ni aucun haut gradé de la Marine devenu gouverneur des colonies;
-27 avril : le décret est signé par le nombre minimum requis de membres du Gouvernement provisoire pour être adopté et publié dans Le Moniteur;
-26 juillet : la commission est dissoute. Elle a remis deux rapports au ministère dans lesquels sont contenues toutes ses recommandations. Elle a élaboré une série de décrets annexes à celui du 27 avril.
Entre-temps, les commissaires généraux de la République sont partis pour la Guadeloupe et la Martinique, la Guyane et la Réunion. Ils étaient porteurs du décret et des instructions rédigées par Schœlcher pour son application. Ces instructions indiquaient en premier lieu qu'un délai de deux mois devrait s'écouler entre leur arrivée et l'entrée en vigueur du texte, ce qui fut le cas, sauf en Martinique et en Guadeloupe. Rappelons en effet qu'en Martinique, le décret fut promulgué par le gouverneur Claude Rostoland le 23 mai à la suite d'incidents graves et d'émeutes des esclaves à Saint-Pierre et à Fort-de-France. La très vive tension sociale qui régnait en Guadeloupe contraignit le gouverneur Jean-François Layrle à y proclamer également la liberté avant l'arrivée officielle du décret, le 27 mai 1848 (1). Les commissaires généraux de la République, Perrinon en Martinique et Gatine en Guadeloupe, ne débarquèrent respectivement à destination que les 3 et 5 juin suivants.

 

 

 

 

 

 

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