DES AFFRANCHISSEMENTS DEFINITIFS À L'ÉMANCIPATION DE 1848
Les abolitions de l'esclavages
Presses Universitaires de Vincennes
éditions UNESCO
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M'Baye Gueye
Université Cheikh Anta Diop, Dakar
L'ABOLITION PAR LA COUTUME (1)

En Afrique, des esclaves étaient parvenus à obtenir leur liberté totale et entière bien avant l'application du décret du 27 avril 1848 dans les possessions africaines de la France. Ces affranchissements étaient dus soit à la générosité des maîtres, soit au rachat de gré à gré, soit à l'intervention de la coutume qui, dans certaines circonstances, prononçait la libération des esclaves.


Les albinos étaient affranchis dès leur naissance. Les jumeaux bénéficiaient spontanément de la même faveur, ainsi que leur mère. Les captifs chrétiens recevaient, avec leur baptême, leur acte de liberté (1). Chez les Musulmans, les esclaves lettrés n'avaient même pas besoin de demander leur libération. Les maîtres la leur octroyaient le jour même où ils passaient avec succès " leurs épreuves de lecture et d'écriture (2) ". Les enfants qu'on destinait aux études étaient d'ailleurs affranchis le jour de leur naissance.
Les actes notariaux de Corée et de Saint-Louis donnent de nombreux cas de libération volontaire de captifs par leurs maîtres, contents des éminents services qu'ils leur avaient rendus. Mais un captif affranchi, et qui mourait sans laisser d'héritiers, nés postérieurement à sa libération, voyait sa succession revenir de droit à son ancien maître, selon l'usage du pays (3). Les enfants nés antérieurement à l'affranchissement de leur mère, et qui n'avaient pas bénéficié de la mesure d'émancipation, ne pouvaient pas prendre la succession de leur mère, car ils restaient de statut servile.


Le 19 janvier 1829, la dame Jeannette Lefèvre affranchit ses deux captifs, Espérance et Bigué, tous deux âgés de quinze ans. Ces enfants étaient cependant tenus de rester auprès de leur ancienne patronne et de la servir jusqu'à sa mort. Vieille, atteinte de cécité, Jeannette Lefèvre, sentant venir la mort, accomplit cet acte de bienfaisance pour rendre ses serviteurs plus soumis à son autorité et surtout pour obtenir la rémission de ses péchés (4).


À leur retour de La Mecque quelques pèlerins n'hésitaient pas à affranchir les captifs qui les avaient accompagnés aux Lieux Saints de l'Islam (5). Certains maîtres disposaient par testament qu'à leur mort tous leurs captifs devaient recouvrer la liberté. Le 3 mars 1832, Aimé-Désirée et Amélie de Grigny affranchirent Gracia Paye et sa fille de quatre ans provenant toutes deux de l'héritage de la dame Marie-Gabriel Roussin. Cette libération se fit conformément au vœu exprimé verbalement par la défunte peu avant sa mort (6).


À première vue tout permet de croire que ces actes d'affranchissement n'étaient délivrés qu'aux vieilles personnes impotentes qui n'étaient plus d'une grande utilité pour leurs maîtres. En réalité, des captifs de tout âge et de tout sexe ont bénéficié de la générosité des maîtres. Nous ne sommes malheureusement pas en mesure d'en chiffrer l'importance, d'autant que certaines libérations n'étaient pas enregistrées chez le notaire.
La tradition homologuait, en effet, tout affranchissement de captifs proclamé devant des notables. Pour n'avoir pas à payer les frais auxquels étaient soumis les actes notariaux, la plupart des maîtres se contentaient de cette procédure. Dans l'intérieur du continent, les affranchissements de ce genre étaient probablement moins fréquents. Les affranchis qui quittaient la maison de leur maître risquaient à tout moment de retomber dans la servitude.


Des captifs économes étaient parvenus à racheter leur liberté avec l'assentiment des maîtres. Le droit de se racheter n'était pas reconnu aux esclaves et tout maître pouvait parfaitement refuser de négocier avec son captif, même si ce dernier lui proposait pour son affranchissement un prix nettement supérieur à sa valeur réelle. Pour se racheter, le captif devait obtenir le consentement du maître sur le principe. Dès lors, la conquête de la liberté par le captif devenait possible car, par un usage immémorial et qui avait force de loi, les captifs n'étaient tenus de remettre à leurs maîtres que la moitié de leurs gains (7).


Le gouvernement de la Restauration, qui cherchait, sans provoquer de graves heurts sociaux, à éteindre l'esclavage dans les possessions françaises, demanda au gouverneur de recueillir l'avis de la population sur l'éventualité d'accorder aux esclaves le droit de se racheter. L'étude du projet donna lieu à des discussions orageuses. Pellegrin, maire de Saint-Louis et porte-parole des propriétaires, déclara inopportune la mesure projetée car elle risquait de porter préjudice aux esclaves. Son adoption " diminuerait l'universelle bienveillance dont les maîtres étaient animés pour leurs captifs (8) ". Elle ruinerait aussi les maîtres car, guidés par l'unique souci de se libérer, les captifs ne présenteraient plus rien à leurs maîtres (9).
Il lui fut répondu par Butignot, président du tribunal, que le projet provoquerait une heureuse révolution dans les mœurs. Elle amènerait les captifs à faire des économies s'ils désiraient obtenir leur affranchissement. Ils s'imposeraient une grande discipline, qui leur servirait de préparation à leur future vie d'hommes libres (10). Certains conseillers opinèrent que ces spéculations philanthropiques risquaient de faire disparaître l'entente qui présidait aux rapports entre maîtres et esclaves, et d'instaurer à la place un climat de suspicion.

 

(1) BoiLAT, Esquisses sénégalaises, p. 213.
(2) BlNGER, p. 45.
(3) ANFOM, Notariat de Saint-Louis, 21 mai 1827.

(4) ANFOM, Notariat de Saint-Louis, 19 janvier 1829.
(5) PAULET, "Rapport sur la captivité dans le cercle de Tivaouane ", 1904 (Arch. K17).
(6) ANFOM, Notariat de Saint-Louis, 3 mars 1832.
(7) Conseil privé de Saint-Louis, séance du 1™ avril 1819 (Arch. 3E2).
(8) Conseil privé de Saint-Louis, séance du 4 mai 1829 (Arch. 3E8).
(9) Idem.

 

 

 

 

 

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