LES NEGRIERS EN TERRES D'ISLAM
la premiere traite des Noirs VIIe - XVIe siècle Jacques Heers

Convertir ou asservir

II est clair pourtant que les attaques contre de vrais musulmans, dont la piété et les pratiques ne pouvaient être mises en doute, ne furent pas seulement le fait de religieux fanatiques ou de princes sanguinaires, tyranniques, condamnés par les docteurs de la Loi. En 1391-1392, le souverain du Bornou fit tenir au sultan d'Egypte une longue missive, fort sévère et très circonstanciée, pour se plaindre des attaques sanguinaires conduites, presque chaque saison, par les Djudham et par d'autres tribus arabes : « Ils ont enlevé nombre de nos sujets libres, des femmes, des enfants, des hommes faibles, des gens de notre parenté et d'autres musulmans. Ils ont fait incursion dans les villages des vrais musulmans. Ils les vendent aux marchands d'esclaves de l'Egypte, de la Syrie et d'ailleurs. Ils en gardent certains pour leur service. Il faut que ces malheureux captifs soient maintenant recherchés, où qu'ils se trouvent, pour être enfin libérés ". » Au xvie siècle, lors de leur grande offensive, les Marocains emmenèrent un grand nombre de musulmans du Songhaï, docteurs de la Loi et jurisconsultes renommés même, enchaînés jusqu'à Marrakech .


La quête des esclaves, la nécessité de maintenir le prix de ce bétail humain à un faible niveau ont-elles vraiment, comme l'affirment nombre d'auteurs, non pamphlétaires ou historiens après coup mais véritables témoins, incité les rois et les chefs guerriers à contrarier le zèle des prédicateurs et donc freiné la propagation de l'islam? Au xixe siècle, l'explorateur allemand Nachtigal voyait bien que les chefs musulmans du pays des Baguirmi n'avaient fait aucun effort pour rallier à leur religion leurs voisins, de crainte de tarir une source d'esclaves qu'ils exploitaient depuis plus de trois siècles. Les armées du « commandeur des croyants » Ousmane dan Fodio, fondateur, dans les premières années 1800, de l'empire peul de Sokoto, ont sans trop de mal envahi plusieurs royaumes des Haoussas. L'empire s'étendit alors au sud du Niger où un émirat peul fut créé à Ilorin, et, au-delà du Bénoué, affluent du Niger non loin du delta, sur le plateau volcanique Adamaoua, conquis par Adama, un des fidèles d'Ousmane. Cependant, les chefs de ces armées et les chefs religieux montraient peu d'empressement à enseigner leur religion aux peuples qu'ils venaient d'occuper et de soumettre, les gardant plutôt susceptibles d'être asservis, taxés, ou razziés et réduits à la condition d'esclaves.


Il paraît hors de doute qu'en différents pays, pour garder ouverts de vastes territoires où conduire les meutes de guerriers, « l'espace était aménagé, à partir des zones islamisées, de telle manière qu'il existe toujours un " ailleurs ", fournisseur en dehors du royaume, celui-ci protégé par l'ambigu pouvoir d'un souverain officiellement musulman ». Très tard encore, au début du xixe siècle, à Saint-Louis-du-Sénégal, les voyageurs et observateurs de toutes sortes n'ont cessé de faire remarquer que maîtres et esclaves étaient également musulmans, sans que l'on puisse vraiment, sur ce point, par leurs pratiques et leurs comportements, les distinguer les uns des autres .
Laisser subsister, dans le royaume même, des populations encore attachées à leurs anciennes croyances et, aux frontières de ce même royaume, tolérer des pays rebelles à l'islamisme, ne pas y faire entendre l'appel à la prière, ne pas tout mettre en œuvre pour instruire les païens, n'était-ce pas manquer au devoir du souverain musulman? Mais n'était-ce pas aussi se réserver des territoires de chasse?

 

 

 

 

 

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