LES NEGRIERS EN TERRES D'ISLAM
la premiere traite des Noirs VIIe - XVIe siècle Jacques Heers

Sonni Ali, le tyran sanguinaire ?

Dans le Songhaï, pays pourtant islamisé depuis quelque temps et dont la conversion ne fut nullement remise en question, là où de saints hommes prêchaient la vraie foi, les bons musulmans, même les meilleurs d'entre eux, eurent à souffrir des persécutions, massacres et captures en grand nombre. Non du fait des envahisseurs étrangers mais de leurs propres souverains qui avaient eux aussi professé l'islam. Certains étaient retournés ou à l'indifférence ou à de vilaines pratiques, d'autres ne respectaient plus aucune contrainte et ne pouvaient supporter la présence des religieux, juristes et docteurs (ulémas), dont l'influence sur les populations leur portait ombre. A en croire les chroniqueurs et historiens musulmans, ceux de Tombouctou surtout les plus acharnés à lui forger une terrible réputation, Sonni Ali n'était musulman que de façade. Il offrait des animaux en sacrifice aux mosquées mais ne se levait ni ne s'inclinait et se prosternait lors des prières. Il restait assis alors qu'il était plein de santé et fort, sans aucune maladie ni infirmité. Il remettait les cinq prières jusqu'à la fin de la nuit ou au lendemain et, alors, faisait les gestes à plusieurs reprises, tout en restant assis et en désignant chacune des prières du jour par son nom. Après quoi, il faisait une seule salutation finale et disait : « Maintenant, répartissez tout cela entre vous, puisque vous vous connaissez bien. » On disait aussi qu'il ne s'embarrassait pas, pour les femmes à épouser, des conditions islamiques du mariage et des autres prescriptions .

Les censeurs, saints hommes, ulémas et notables l'accusaient de tous les méfaits. Au soir d'une bataille et du sac d'une cité, celle-ci sanctuaire de l'islam pourtant, « il mit à mort des lettrés et des juristes, ainsi que leurs femmes et leurs enfants à la mamelle. Il émascula des hommes de grand renom qui, dans leurs villes, étaient res- pectés et honorés, chargés de dire le vrai et le bien, de juger des délits et des crimes; à d'autres, il coupa le nez et les mains. Il s'appropria le bien des autres, s'empara de leurs femmes et vendit des hommes libres en nombre ». Prince de Gao, Sonni Ali s'empara, en janvier 1468, de Tombouctou qu'il incendia et laissa ruinée : « II s'empressa de faire périr ou d'humilier, d'asservir les savants et les juristes demeurés là... On vit des hommes d'âge mur, tous barbus, trembler de peur au moment d'enfourcher un chameau et tomber à terre dès que l'animal se relevait. » II donna l'ordre de lui amener, pour en faire ses concubines, trente vierges, filles de savants. Il se trouvait alors au port de Kabara 51 et voulut qu'elles fassent le trajet à pied. Epuisées, mortes de faim et de soif, elles s'arrêtèrent en chemin; il les fit tuer sur place. Guerre contre l'islam, ou guerre du roi des Noirs contre les hommes venus du Nord, contre les Berbères? Les Touaregs, maîtres de Tombouc-tou, furent chassés ou devinrent ses vassaux. Ou, plus simplement, chasse au butin et aux esclaves?


Homme d'une trouble réputation, mauvais croyant donc, il n'hésitait pourtant pas, en tant qu'empereur du Songhaï (1464-1492), à mener aussi de rudes campagnes et faire quantité de prisonniers chez les peuples voisins, notoirement convertis à l'islam pourtant, et poussait l'impudence jusqu'à les accuser, contre toute vraisemblance, d'être de peu de foi. Ses guerriers allaient souvent dans la brousse, attaquer et « casser » les villages pour nul autre profit que de s'emparer de ces paysans, déclarés, pour l'occasion, infidèles ou rebelles.

Il conquit le Bara, pays des Berbères Sanhadja, alors gouverné par une femme ; il envahit et soumit toutes les montagnes où campaient d'autres tribus.
Sonni Ali ne fut certes pas le seul à provoquer l'indignation des pieux religieux pour avoir lancé toute une armée ou de forts partis de cavaliers contre des peuples islamisés depuis longtemps, piller les riches cités et faire la chasse aux hommes dans les villages. Les askias, souverains qui, au Songhaï, succédèrent aux Sonni, et se réclamaient pourtant d'une plus stricte observance de la religion, furent eux aussi accusés de s'en prendre, toujours et encore pour faire des captifs, à de bons croyants. Le cadi de Tombouctou reprochait à l'askia Ishaq (1539-1549) de capturer et de vendre des hommes libres, tous musulmans. On voyait alors des captifs, appartenant à de grandes familles des pays voisins et du Songhaï même, conduits enchaînés sur le marché de Tombouctou. Ces entreprises guerrières et ces trafics entretenaient un tel climat d'hostilité à Tombouctou que ces ventes d'esclaves provoquèrent, en 1588, une effroyable guerre civile qui mit le pays à deux doigts de sa perte.

 

 

 

 

 

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