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LES NEGRIERS EN TERRES D'ISLAM
la premiere traite des Noirs VIIe - XVIe siècle Jacques Heers
PRETEXTES ET MAUVAISES RAISONS
La guerre sainte au pays des Zendjs
Plusieurs historiens - musulmans ou chrétiens- ont, sans grand
risque semble-t-il d'être démentis, affirmé que la
guerre, dite alors guerre sainte, contre telle ou telle tribu en Afrique
noire ne fut que prétexte pour capturer hommes et femmes chez ceux
que, à l'occasion et sans vraie raison, l'on qualifiait d'Infidèles.
Chefs de guerre et négociants trouvaient maints arguments et maintes
occasions pour mener leurs assauts, assurant que, ici et là, les
musulmans noirs n'étaient pas vraiment de bons croyants. Ces Noirs,
disaient-ils, n'appliquaient pas la Loi de manière stricte ; ils
se comportaient comme des païens, écoutaient encore leurs
sorciers, s'adonnaient à la magie, adoraient des idoles et ne priaient
pas Dieu.
« Les habitants de cette contrée [Kilwa, sur la côte
de l'océan Indien] mènent la guerre sainte parce que leur
pays est contigu à celui des impies Zendjs. Ce sont des gens pieux
et vertueux. » Le sultan de Kilwa, célébré
pour ses dons au peuple et pour ses actes de charité, lançait
des attaques meurtrières, ramenait un butin mais prenait soin d'en
prélever le cinquième pour les œuvres prescrites par
le Coran ; il le déposait dans une caisse et lorsque les chérifs
venaient le voir d'Irak, du Hedjaz et d'ailleurs, il la leur remettait.
La guerre contre les Noirs d'Afrique orientale a, pendant des siècles,
à la cour des califes de Bagdad, puis plus tard chez les Turcs
ottomans et dans l'Inde musulmane ensuite, inspiré les auteurs
d'épopées ou de récits légendaires, et les
peintres de scènes de batailles ou d'exploits de toutes sortes.
Une enluminure de Behzad (1455-1536), artiste persan le plus célèbre
de son temps, familier de la cour du sultan Hosein Bayqara à Herat,
montre, pour illustrer le Khamseh, livre de Nizami (1140-1203), épopée
romanesque comptant cinq poèmes, un épisode de cette chasse
aux Noirs dite, en l'occasion, guerre sainte. Cavaliers blancs et noirs
s'affrontent lance en main, tous à dos de chameaux, en plein désert,
sur fond de dunes. Par ailleurs, poètes et artistes n'hésitaient
pas à accommoder l'histoire d'Alexandre de façon à
faire du héros grec et de son père mythique, Darab, les
champions de la lutte contre ces hommes de couleur infidèles. Deux
peintures indiennes des années 1580-1585, rappellent les épisodes
de la guerre de ce Darab contre les Zendjs d'Afrique. L'une est une scène
de combat : sur fond de rochers escarpés, le héros, monté
sur un cheval tout entier couvert de riches étoffes brodées
d'or, se bat seul, l'épée haut brandie, contre trois Noirs,
eux aussi à cheval, armés d'épées et de lances.
L'un d'eux gît déjà à terre, mort, la tête
au sol. Dans l'autre scène, Darab reçoit la soumission des
chefs zendjs vaincus. En pleine campagne, sous un grand arbre, il siège
sur son trône, vêtu de somptueux habits de couleur rouge,
coiffé d'un casque d'or. Trois fidèles courtisans veillent
sur lui. Six Noirs, désarmés, leurs têtes prises dans
des sortes de turbans ou de bonnets, se tiennent debout, humbles, chaudement
habillés de longues vestes boutonnées de haut en bas.
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