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LES NEGRIERS EN TERRES D'ISLAM
la premiere traite des Noirs VIIe - XVIe siècle Jacques Heers
L'Afrique des sorciers
Ces conversions demeuraient pourtant fragiles. Plusieurs peuples chez
les Noirs se disaient musulmans, mais ils ne s'étaient ralliés
à leur nouvelle religion que de façon très superficielle
et ils n'avaient pas véritablement changé leurs façons
de vivre.
Bons ou mauvais croyants? Vrais ou faux musulmans? Qui pouvait le savoir
et le dire ? Les rois ou les chefs religieux avaient, sans trop de mauvaise
foi, quelques raisons d'accuser les peuples d'un royaume voisin de leur
idolâtrie ; ils invoquaient alors leur fausse religion et, sollicités
évidemment par les trafiquants, pressés par la demande et
les difficultés de trésorerie, lançaient leurs guerriers
à l'attaque et à la chasse à l'homme. Ce n'étaient
pas qu'artifices et faux prétextes car nul ne pouvaient nier que,
loin des cités, la religion avait été enseignée
non par des érudits, mais par des prédicateurs populaires,
par des fagihs, des petites gens souvent venus du Nord ou des Noirs du
Soudan qui prêchaient dans leur propre ethnie. Là où
ils furent moins nombreux et moins actifs, l'islam ne pouvait connaître
une implantation durable et les pratiques, les prières mêmes,
furent moins bien observées. « Au total, cet islam populaire,
immergé dans un animisme luxuriant, resta très faible, d'autant
plus qu'il n'était pas soutenu par les ulémas qui auraient
pu l'aider à se purifier et à s'enraci-
ner . »
Même chez certains peuples réputés islamisés,
n'ont été convertis que le roi et ceux qui l'approchaient,
ceux qui vivaient directement sous son influence, en fait les habitants
des villes. Les voyageurs notent partout sur leur chemin que « les
gens de la ville sont musulmans mais que la brousse est restée
païenne ». Là, ils vénèrent des arbres
et des pierres et font auprès d'eux des sacrifices, des dons, des
invocations, des promesses, des prières pour le succès de
leurs récoltes ou de leurs affaires. Ils croient aux devins et
aux sorciers.
Sur le chemin du pèlerinage de La Mecque, Ibn Jobayr devait, du
Caire, rejoindre l'un des ports de la mer Rouge et fut contraint de traverser
les terres des Bujâs. Il eut beaucoup à souffrir de leurs
façons d'exploiter les étrangers et n'en dit que du mal
: « Cette tribu de Noirs est plus égarée que des bêtes
et moins sensée qu'elles. Ces gens n'ont, au vrai, d'autre religion
que de proclamer l'unicité de Dieu pour prouver leur foi en l'islam
mais, au-delà, rien dans leurs fausses conduites et dans leurs
doctrines n'est satisfaisant ni licite. Les hommes et les femmes circulent
presque nus, avec un chiffon pour dissimuler leur sexe, encore que la
plupart ne cachent rien! Bref, ce sont des gens sans moralité et
ce n'est donc pas un péché que de leur souhaiter la malédiction
divine . » Et de les pourchasser jusque dans leurs villages, pour
en ramener des esclaves.
Sur la côte des Somalis, au-delà du cap Guardafu (Cap des
aromates), l'islamisation fit peu de progrès et demeura tres limitée,
très incertaine. Les habitants des comptoirs de la mer Rouge étaient
parfaitement croyants mais Qarfuna,
près du cap, et Bazuna au nord de Mogadiscio étaient encore,
dans une large mesure, habités par des païens. Plus au sud,
Idrisi ne trouvait une majorité de musulmans que dans l'île
d'Anjaba et tous les marchands qu'il interroge lui parlent des pratiques
animistes des hommes d'Al-Banus, de Malinde et de Mombasa, sur le continent.
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