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LES NEGRIERS EN TERRES D'ISLAM
la premiere traite des Noirs VIIe - XVIe siècle Jacques Heers
QUEL ISLAM? BONS ET MAUVAIS CROYANTS
Les vertus des néophytes
Le pèlerinage des rois noirs à La Mecque faisait connaître,
toujours de façon spectaculaire, vraiment ostentatoire, leur conversion.
Les historiens en donnent exactement la date, dénombrent les hommes
de la suite ainsi que les esclaves noirs porteurs d'or et de cadeaux.
Longues absences, signe d'un pouvoir solidement assuré, largesses,
générosités, grandes dépenses que les chroniqueurs
prennent soin de chiffrer. Mansa Mousa, roi du Mali, fit don de vingt
mille pièces d'or aux deux villes saintes d'Arabie et l'askia Mohammed,
restaurateur de la vraie foi dans le Songhaï, quelque cent cinquante
ans plus tard, distribua plus de cent mille pièces.
Mansa Mousa arriva en Egypte en juillet 1324. Il avait, dit-on, avec lui
plusieurs milliers d'esclaves et quarante mules chargées d'or.
Il demeura trois mois au Caire et fit partout sur son passage d'abondantes
aumônes, de centaines de mithkâls chacune. « II a inondé
la ville des flots de sa générosité ; il n'a laissé
aucun proche du sultan, aucun titu-laitre d'une charge sans lui faire
remettre une somme d'or. » Lorsque le mihmandar38 mourut, on trouva
chez lui, dans sa réserve, des milliers de lingots d'or donnés
par Mousa, encore dans leur gangue de terre. « Certains marchands
m'ont raconté ce qu'ils avaient réalisé en gains
et en bénéfices sur ces gens-là. Si l'un d'entre
eux [les Noirs] achetait une chemise ou un vêtement, ou un drap,
un voile, un manteau, ou toute autre chose, il payait cinq dinars alors
que l'objet n'en valait qu'un seul. C'étaient des gens au cœur
simple et pleins de confiance. On pouvait tout faire avec eux chaque fois
qu'on les entreprenait. Ils prenaient toute parole pour argent comptant39.
» Avant leur passage, le mithkàl d'or valait au moins vingt-cinq
dirhams mais, à cause de la grande quantité qu'ils en mirent
en Egypte, le cours descendit au-dessous de vingt-deux dirhams.
Ils arrivèrent à La Mecque en octobre. Le retour fut difficile
et mouvementé, périlleux : la caravane s'égara, fut
attaquée par des Bédouins, rançonnée et perdit
le tiers des pèlerins dans les sables de l'Arabie. Au Caire, Mansa
Mousa ne resta que quelques jours, mal accueilli puisque tout son or était
déjà dans les mains des marchands. Lui qui avait fait la
fortune de tous ces gens, se vit contraint d'emprunter à des usuriers
qui ne lui firent pas de cadeau. Plusieurs créanciers, méfiants,
agressifs, acharnés à se faire rembourser leur argent, l'accompagnèrent
sur le chemin du retour, jusqu'à Gao et Tombouctou.
Du Caire et de ses habitants, des marchands et des prêteurs, des
chameliers et des guides, les Noirs ne gardèrent que de mauvais
souvenirs. Leurs heureuses et bienveillantes dispositions des premiers
jours, temps de découverte d'un monde auréolé d'un
tel prestige, se gâtaient vite lorsqu'ils s'apercevaient qu'on les
trompait. « S'ils voient aujourd'hui le plus grand des docteurs
de la science et de la religion et si on leur dit qu'il est égyptien,
ils le querellent et pensent mal de lui, en souvenir de leur triste expérience.
»
Cependant, malgré ces déceptions, amertumes et heurts parfois,
les pèlerinages furent toujours, du moins pour les souverains et
les érudits des pays de l'Afrique noire, l'occasion de renforcer
les études du Coran et de préparer une islamisation en profondeur
des peuples de leurs royaumes. Dans une caravane très réduite
puisqu'il avait, au Caire et à La Mecque, vendu presque tous ses
Noirs, Mansa Mousa ramenait tout de même d'Egypte plusieurs autres
esclaves, juifs et abyssins, des chanteuses certes mais aussi des hommes
libres, artisans, artistes, hommes de lettres, tel le poète andalou
Tuwayjin qui s'installa à Tombouctou et, surtout, trois docteurs
de la Loi, « greffe de sang arabe dans le Soudan». Il aurait
voulu s'assurer l'engagement de chérifs de la descendance du Prophète.
Le cheikh de La Mecque refusa mais, contre mille mithkâls d'or,
quatre hommes de la tribu de Qoreich acceptèrent de l'accompagner.
De Tombouctou, des barques et des pirogues les transportèrent vers
le Mali, les débarquèrent à Kani et ils fondèrent
une mosquée tout près de là.
Bien plus tard, As-Sayuti, heureux de voir se manifester un tel zèle,
rapporte comment, en l'an 1484, Ali, roi du Hournou, vint, de séjour
au Caire, lui rendre visite avec toute sa suite pour s'instruire de la
science religieuse et des hadiths : « Ils étudièrent
avec moi un certain nombre de mes ouvrages et prirent avec eux une collection
de mes œuvres, plus de vingt. »
Grands désirs de s'instruire, fréquentation des savants
et des hommes de loi, la conversion à l'islam fut bien réelle
dans l'entourage des princes, à la cour, dans les villes-capitales
et les villes du négoce. Les préceptes et les prières
y étaient strictement observés, le Coran enseigné
de façon irréprochable. Les voyageurs reçus par le
roi, témoins chez lui et chez ses proches de tant de manifestations
d'un bon zèle, s'émerveillaient de voir ses sujets pratiquer
leur religion mieux parfois que dans certaines villes acquises depuis
longtemps par l'islam : « Le vendredi, si le fidèle ne se
rend pas de bonne heure à la mosquée, il ne trouve plus
de place, tant il y a de monde ; il est d'usage que chaque fidèle
envoie son esclave porter sa natte de prière pour qu'il la place
à l'endroit convenable en attendant l'arrivée de son maître
(ces nattes sont faites des feuilles d'un arbre qui ressemble au palmier,
mais n'a pas de fruits). L'usage veut que les Noirs portent de beaux vêtements
blancs le vendredi ; si un Noir n'a qu'une seule chemise usée,
il la lave, la nettoie et la revêt. Les Noirs mettent des entraves
aux pieds de l'enfant qui fait preuve, d'après eux, de négligence
pour étudier le Coran ; ces entraves ne sont ôtées
que lorsque l'enfant sait le Coran par cœur. »
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