DE L'OUBLI A L'HISTOIRE
Oruno D. Lara
Espace et identité caraïbes
Guadeloupe Guyane Haïti Martinique

GUERRES KARIB ET DEPORTATION

Les indigènes accusaient les Anglais de vouloir les mettre en esclavage. Mais en juin 176l, deux ans après qu'ils eurent occupé la Guadeloupe, les Anglais transférèrent des troupes d'Amérique du Nord et procédèrent à la conquête des îles neutres. Le Contre-amiral George Bridges Rodney à la tête d'une imposante armada et de 14 000 hommes, s'empara de la Martinique en février 1762. Il n'eut aucune difficulté par la suite à réduire Sainte-Lucie et Saint-Vincent. Tobago était tombée aux mains des Britanniques dès le début du conflit. Une troisième période s'ouvrit pour les Karib à partir de 1763 avec le traité de Paris. La France obtint Sainte-Lucie et l'Angleterre les trois autres îles. La conquête de l'archipel était alors totale.
De 1763 à 1773, les Britanniques entreprirent une vigoureuse action contre les Karib. C'était en vérité une guerre d'extermination qui culmina en 1772-1773. Les Karib furent refoulés dans la partie Nord, montagneuse, de l'île de Saint-Vincent, aux termes d'un traité signé en février 1773. Pendant la Guerre d'Indépendance des Etats-Unis, ils parvinrent à reprendre le contrôle de toute l'île avec l'aide des Français. Cette période est connue sous le nom de Première guerre Karib. A leur retour en 1783, les Britanniques avaient été obligés de reprendre la lutte. La situation dans l'île, territoriale et militaire, redevint ce qu'elle était avant 1773. Le Gouverneur Sir William Young visita Saint-Vincent et rencontra les chefs Karib sur leur plantation de coton. Il parla de l'un de ces chefs du nom de Chatoyer, comme du « fondateur de la civilisation karib ».
C'est le 10 mars 1795 que reprit la guerre (la Deuxième guerre Karib) encouragée par les corsaires guadeloupéens. Le Commissaire Victor Hugues voulut aider les Karib dans leur lutte contre les Britanniques. Ceux-ci avaient concentré leurs forces à Saint-Domingue où ils affrontaient les troupes de Toussaint Louverture. A Saint-Vincent, deux forces karib combattaient, l'une dans la partie au Vent de l'île, sous la direction de Joseph Chatoyer, l'autre sous le Vent, commandée par Duvalle, ayant pour aide de camp le Guadeloupéen Massoteau. Ils pratiquaient la guérilla à partir de leurs refuges situés dans les hauteurs de l'île. Des difficultés survenues dans la coordination des attaques gênèrent les Karib qui reçurent des renforts de personnes étrangères, en particulier des Français, qui n'avaient pas l'habitude de combattre comme eux. Les Anglais, de leur côté, reçurent des renforts de Martinique et de Jamaïque en 1795 et en 1796. Plus de quatre mille hommes arrivèrent de Grande-Bretagne et de la Nouvelle-Angleterre. Les Karib occupaient solidement leur grand quartier général de la Vigie, d'où ils lançaient des offensives audacieuses.
L'arrivée de nouvelles troupes après la capitulation de Sainte-Lucie en mars 1796 fut déterminante pour l'issue de la guerre. De juin à septembre 1796, les Britanniques intensifièrent leur action militaire. Une attaque menée sous les ordres du Général Ralph Abercomby les 9 et 10 juin entraîna la reddition des forces françaises alliées des Karib. Les forces anglaises capturèrent deux cent quatre-vingt Karib, essentiellement des femmes, qui étaient réfugiés dans la zone montagneuse, le 19 juillet. Ils furent envoyés à l'île Baliceaux dans les Grenadines.
Après la mort du chef Chatoyer, tué en mars 1795 à la bataille de Dor-setshire Hill, ce fut son fils qui le remplaça à la tête des troupes Karib. Il portait le même nom que son père. Les Britanniques progressant le long de la côte sous le Vent, prirent tous les villages. Ils firent des prisonniers qui furent envoyés également à Baliceaux et détruisirent le camp de Duvalle. On comptait, en août 1796, quatre cent dix Karib dans cette île. Ceux de Saint-Vincent se regroupèrent et se retranchèrent dans la région montagneuse (La Vigie, Mont Williams et Mont Young). D'août à septembre, l'armée britannique augmenta sa pression, faisant des prisonniers, les interrogeant et les transférant. Le 12 octobre, on dénombrait trois mille cinquante prisonniers. En janvier, le nombre des captifs Karib n'était plus que de deux mille cinq cents. Y avait-il eu des morts, des fugitifs ?
Les déportations massives de Karib commencèrent en mars 1797. Des navires de transport britanniques avaient été rassemblés pour transporter cinq mille quatre-vingts personnes à l'île de Roatan, dans la Baie du Honduras. Le projet initial de les confiner dans les îlots des Grenadines, Baliceaux et Bequia, ne fut pas retenu. La flotille de transporteurs chargés de Karib fit une escale en Jamaïque du 21 mars au 6 avril. Un des navires, le John Hillaty, fut même laissé dans cette île. Un autre, le Prince William Henry, était capturé le 12 avril par deux frégates espagnoles et emmené à Trujillo. Les Britanniques durent attaquer cette place pour récupérer le navire après l'échec de tentatives de négociations et d'échanges de prisonniers. Le convoi arriva enfin à destination en mai et les Karib furent débarqués à l'île de Roatan. Les Espagnols, qui croyaient à une invasion britannique, envoyèrent un navire pour défendre l'île. Ils furent étonnés d'y trouver des Black Karib. Le 18 mai, deux mille d'entre eux se rendirent aux autorités espagnoles et le lendemain, ce fut au tour des Karib rouges. La majorité de ces Karib furent déportés en 1798 au voisinage de Trujillo. C'est de là qu'ils gagnèrent progressivement tout le littoral caraïbe, de Belize à la côte Moskito.
Cependant, des Karib n'avaient pas quitté Saint-Vincent. Ils continuèrent la guerre sous des formes diverses jusqu'en mai 1805- Des planteurs essayèrent bien d'en saisir quelques-uns en octobre 1797 et de s'en débarrasser en les envoyant dans des îles lointaines. Mais ils ne purent capturer que dix-huit hommes et cinquante-six femmes et enfants. En avril 1798, le gouverneur proposait une amnistie générale aux Karib toujours en guerre. Seuls le chef Augustine et neuf autres Karib qui venaient d'être capturés répondirent à cet appel.
Les guerriers Karib avaient repris leur lutte. Ils effectuèrent des raids meurtriers contre des planteurs qui occupaient leurs terres. Une expédition britannique dut être organisée pour les poursuivre. Un régiment de « rangers » composé uniquement de nègres avait été constitué pour participer à cette guerre. Il fut dissout en 1799. Les Britanniques continuèrent à déporter les Karib capturés à Trinidad en 1801. Les villages indigènes étaient systématiquement détruits. Mais les incursions karib continuèrent contre les plantations de la côte sous le Vent. En 1803, le gouvernement offrit une prime de vingt dollars « pour tout Charaib, homme ou femme, tué ou fait prisonnier ». En juin 1804, un arrêté stipula que les Karib n'avaient plus le droit de prétendre à la propriété de leurs terres, droit qui leur avait été accordé par le traité de 1773. Dans les montagnes de l'île Saint-Vincent, un village, Lapiton, habité par des Black Karib et des nègres fugitifs, réussit à se maintenir. Des tentatives de négociations avec les Karib furent entreprises entre mars et mai 1805- Peu de Karib se rendirent. Un arrêté du 16 mai amnistiait tous les indigènes qui se rendraient avant le 20 juin. Seuls, le 28 mai, seize hommes, neuf femmes et vingt enfants s'y soumirent. La majorité des Black Karib s'étaient réfugiés dans les forêts de la zone montagneuse. Quelques-uns d'entre eux quittèrent l'île en 1812 au moment de l'éruption du volcan La Soufrière. Ils se rendirent à Trinidad, sans doute pour rejoindre d'autres Karib de Saint-Vincent qui s'y trouvaient déjà. Sur le continent, des villages de Black Karib (ou Garifunas) se répartirent dans les quatre pays suivants : Belize, Guatemala, Honduras et Nicaragua.
Les administrateurs de la Guyane, Villebois et Lescallier, avaient soumis une note au ministre (lettre du 20 septembre 1787) traitant d'un projet de faire émigrer en Guyane des Karib de l'île Saint-Vincent mécontents du gouvernement anglais. Ils se proposaient d'y pratiquer l'agriculture et la navigation sur les fleuves guyanais. Le ministre répondit par des observations le 14 janvier 1788 77, soulignant le danger de mécontenter l'Angleterre et la nécessité d'agir avec précaution. La Guyane manquant de bras, les administrateurs cherchaient tous les moyens d'accueillir dans la colonie des travailleurs potentiels. Une supplique des « pauvres Egyptiens ou Bohémiens » demandant à être admis parmi les sujets du roi et établis dans une province (9 février 1788) parvint en Guyane en avril. Un mémoire de Loménie de Brienne soumis au ministre reprenait la question de ces deux cents vagabonds. Seule la Guyane serait susceptible de les recevoir. Un autre vieux projet réapparut à cette époque : le dossier relatif aux noirs réfugiés du Suriname en Guyane (projet de Bessner en 1776). Les autorités coloniales françaises chargées de s'informer de leur nombre et de leur montrer des dispositions pacifiques rencontrèrent les chefs des noirs cimarrons en 1786. Deux ans plus tard, l'administration coloniale élaborait un plan « sur les moyens de peupler, organiser et connaître toute l'étendue de la colonie... avec l'établissement de missions indiennes, de cultivateurs blancs, de Karib de Saint-Vincent et de Noirs réfugiés de Suriname 78 ».
Victor Hugues, dès 1795, chercha à aider les combattants Karib dans leur lutte contre les Anglais. De Cayenne, il écrivit au ministre, le 25 décembre 1804, pour recommander une réponse favorable à donner à la requête des Karib de Saint-Vincent demandant à s'établir en Guyane. Il soulignait leur attachement à la France, malgré plusieurs occupations anglaises, leur conduite courageuse auprès des Français lors des dernières guerres, les déportations par les Anglais au Honduras, leur refuge à Tru-jillo et l'utilité de les installer en Guyane 79. Dans sa réponse du 20 janvier 1806, le ministre approuvait les propositions concernant les Karib de Saint-Vincent, tout en objectant l'impossibilité de leur envoyer des secours 80.
Une guerre (Karib War) opposa en 1930 les Karib de la Réserve à l'administration coloniale de la Dominique. Le 19 septembre 1930, cinq policiers pénétrèrent dans la Réserve à l'aube, cherchant des marchandises de contrebande. Elles furent trouvées et confisquées et trois personnes arrêtées. Une altercation s'ensuivit, les policiers ouvrirent le feu et plusieurs Karib furent atteints par les balles. Il y eut deux morts. Les policiers furent désarmés, battus et jetés hors de la Réserve. L'administrateur de la Dominique, E.C. Eliot, sur les conseils du chef des forces de police des Leeward Islands, alors en visite à la Dominique, demanda l'aide d'un bateau de guerre. Le Gouverneur Reginald St. Johnson, résidant à Antigua, télégraphia au navire H.M.S. Delhi qui stationnait à Trinidad de se rendre d'urgence à la Dominique. Des Marines et des policiers arrivèrent pour renforcer la police locale. Les soldats pénétrèrent dans la Réserve et saisirent sept Karib. Le chef Jolly John se rendit à Roseau de son propre gré où il fut immédiatement arrêté et détenu. La presse anglaise se déchaîna, le Times choisit un titre dramatique, « Starving Caribs' Attack on Roseau »... Selon ce journal, la police locale devait élever des barrages pour défendre Roseau contre les Karib qui pillaient les magasins et s'en prenaient à la population. Le chef des Karib Jolly John et cinq autres Karib furent jugés. Le procès dura jusqu'en janvier 1931. Les Karib furent acquittés. Mais l'administrateur Eliot refusa de rétablir le chef Jolly John qui avait été suspendu. La Chambre des Communes de Londres nomma une commission d'enquête pour clarifier le statut légal de la Réserve et faire une enquête sur les récents incidents. Cette commission décida d'ignorer complètement le verdict rendu par la justice dominicaine et jugea les Karib et leur chef « moralement responsables » pour les morts survenues.


 

 

 

 

 

 

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