Le Soudan se vide de sa population

Pour relancer la déportation, il suffit de quelques provocations, et les Noirs, vite révoltés, sont « châtiés ». Le Soudan se vide de sa population. Les chiffres sont effrayants. Trois cent cinquante mille Noirs y disparaissent chaque année!

Certains peuples vont fondre littéralement dans la tourmente. Ainsi les Gallas, qui habitent entre l'Abyssinie et l'équateur. Ils sont si pauvres que certains vendent d'eux-mêmes leurs enfants aux marchands venus du nord, qui sont pour beaucoup des Abyssins musulmans, les Djibertis. En pays galla, de nouvelles caravanes négrières se forment sans cesse. Elles doivent traverser l'Abyssinie, mais le négus a interdit la traite sur son territoire. Ses douaniers chrétiens ne plaisantent pas avec les contrebandiers islamiques : tous ceux qui passent en fraude des esclaves ont le poignet tranché. Les esclavagistes égyptiens sont obligés d'organiser une véritable « route souterraine » de la traite. Les caravanes voyagent la nuit; pendant la journée, les esclaves sont cachés dans les sous-bois ou dans les grottes. Entre Gondar, au cœur du massif éthiopien, et Gallabat2, à la frontière du Soudan, la route n'en est pas moins considérée comme particulièrement dangereuse par les négriers musulmans. Puis c'est l'arrivée à Gédaref, chef-lieu de l'Est soudanais, et l'éclatement vers Khartoum ou vers Assouan. Certains convois se dirigent sur le port de Massaouah, d'où les Noirs continuent leur tragique voyage par mer.
Route du Nil ou route de la mer Rouge, la destination est toujours la même : la castration ou la caserne, et le harem. Des captives se retrouveront à Salonique ou à Constantinople. Des guerriers serviront en Arménie ou en Bosnie-Herzégovine. La caste des mamelouks elle même n'est pas née autrement : de la captivité et du combat.
Yéménites et Syriens deviennent désormais les rois de la traite, et les records naguère établis à travers l'Atlantique par les Portugais ou les Britanniques sont pulvérisés.
La cascade des prix donne une idée des bénéfices que peuvent faire les trafiquants : un Noir vaut 2,50 F sur le lac Nyassa, 40 sur le Haut-Nil, 250 à Khartoum, 500 au Caire, 1 500 à Constantinople ou à Salonique. En 1870, l'Egypte, à elle seule, « consomme » soixante-dix mille Noirs, qui sont importés à demi clandestinement, en payant les droits de douane réservés aux chevaux...

Jean Mabire - la Traite des Noirs éditions de l'Ancre de marine

 

 

 

 

 

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