Toute l'Afrique se dépeuple

La marche des esclaves va durer des jours, des semaines, des mois : la caravane avance moins vite que le navire négrier d'autrefois. Les Noirs marchent sous les coups de fouet qui cinglent leur dos nu, y creusant des plaies purulentes.

Ils sont réunis deux à deux, comme l'a vu Livingstone, par une double fourche de bois et portent autour du cou un collier qui leur entre dans les chairs. Parfois, une chaîne réunit leurs poignets et leurs chevilles à ce collier de misère. Les enfants au sein sont enchaînés à leur mère. Certains sont morts depuis plusieurs jours quand un des gardes du convoi se décide à tuer la malheureuse mère, elle-même épuisée, d'un coup de gourdin. Car on économise les munitions et c'est avec des barres de bois que sont achevés les traînards. Tout ce qui ne peut pas suivre le rythme de la marche est abattu. Bambins et vieillards tombent les premiers, le crâne fracassé. Ceux qui ont de la chance vont mourir aussitôt, après quelques convulsions. Les autres agoniseront pendant des heures, ou seront dévorés vivants par les rapaces qui suivent la caravane. Les vautours et les hyènes accompagnent les esclavagistes. Ils savent que chaque jour ils trouveront leur nourriture sur le bord de la piste. Les routes d'Afrique sont jalonnées d'ossements humains qui tracent sur tout le continent les chemins de la servitude et de la mort.
Nombre de ceux qui échappent aux coups meurent du choléra ou succombent à la faim. Leurs maîtres ne donnent aux esclaves convoyés que quelques poignées de sorgho cru.
Pour un esclave qui parvient sur les marchés du Maroc, de l'Egypte ou du Yémen, il en meurt en route quatre ou cinq. Les pistes de caravanes sont des charniers. Dans la région de Zanzibar, les hyènes ne suffisent même plus à nettoyer les os : ces ignobles carnassiers sont dégoûtés de la chair humaine! Toute l'Afrique se dépeuple. Stanley estime que dans certaines régions il ne reste plus qu'un pour cent de la population. Et cela en quelques années seulement. Du Niger au Zambèze, tout n'est plus que désolation et ruine. La région des Grands Lacs est devenue un désert. Le sang noir ruisselle vers le nord. L'équateur sent le cadavre.

 

Jean Mabire - La traite des Noirs - éditions de l'ancre de marine - (107)

 

 

 

 

 

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