Premiers voyages en Afrique

Le Portugais Duarte Pacheco Pereira est l'auteur d'un ouvrage de cosmographie et de navigation intitulé Esmeraldo de Situ Orbis rédigé vers 1505-1508 4. Il décrit longuement, sur la côte occidentale africaine, la Costa de Malagueta qui s'étend sur 40 lieues. C'est du cap Mesurado à la mata (forêt) de Santa Maria que débute le resgate (échange) de la malagueta (en latin grana paradisi, grain du paradis). Après la forêt, on rencontre le Rio de San Paulo et les montagnes avoisinantes, puis le Rio Junco. Il y a de l'or dans les rios. Plus loin, le Rio dos Cestos - la malagueta s'échange dans des paniers (cestos) - le cap des Baixas, l'île de Palma. Sur la terre en face, on traite les captifs africains (gueyë) et la malagueta (.nhunho). Après avoir évité les deux îlots des Ilheos et les bas-fonds dangereux, on atteint le cap Fermoso puis le Resgate do Genoes (.point de traite du Génois) où s'échangent malaguette et captifs. La traite se poursuit au-delà, sur le Rio de San Vicente, le Rio Pequeno et la Praya dos Escravos (Plage des Esclaves) qui s'étend sur 13,6 km. Les navires interlopes sont très tôt attirés par ce lieu. En 1475, un vaisseau armé en Flandre avec un équipage flamand et un pilote castillan, chargé de marchandises, partit trafiquer à la Mina. C'était sept ou huit ans avant la construction de la forteresse de Sào Jorge da Mina, selon Duarte Pacheco Pereira. Ces marchands du nord firent un commerce qui leur rapporta 5 ou 600 dobras. A leur voyage de retour de la Mina, ils s'ancrèrent à cette Plage des Esclaves. Le vent, pendant la nuit, poussa le navire qui s'échoua sur la rive. Les Africains tuèrent trente-cinq Flamands du bâtiment. L'année suivante, Pedro Gonçalvès Neto fut envoyé comme capitaine d'une caravelle qui récupéra tout l'or et une partie des vêtements des Flamands.
On a le témoignage également d'Eustache de la Fosse, parti de Bruges avec de la pacotille à écouler à la Mina. Il embarqua à Cadix sur une caravelle espagnole en 1479. Il fit escale à la côte de la Malaguette où s'échangèrent des épices, de l'or et des captifs africains - surtout des femmes et des enfants - amenés sur des pirogues par les indigènes. Les négriers utilisaient comme paiement des « armilles », anneaux de laiton fabriqués par l'industrie de l'Allemagne du sud au XVIe siècle pour le troc avec l'Afrique. Les chargements quittaient l'Allemagne pour Anvers, gagnaient Lisbonne d'où les navires portugais les dirigeaient vers les côtes guinéennes 5. Les captifs ainsi acquis étaient revendus à la Mina contre de la poudre d'or6. Le trafic continuait autour de l'énorme rocher de Lagea, au cap de San Cremente (Saint-Clément) et à la côte de la Malaguette, se terminant au cap das Palmas.
La malagueta (.Africanum melegueta), ce faux poivre longtemps confondu avec les « grains de paradis » (Africanum Geranum-paradisi) était commercialisée depuis le XIIe siècle en Méditerranée par des marchands arabes et italiens. Le mot malagueta ou melegeta serait d'origine asiatique (du tamoul milagd) ou africaine. La malagueta et les « grains de paradis » poussent dans deux régions africaines : en Gambie - Haut Niger et en Sierra Leone. Les Portugais se saisirent de ce trafic vers 1455 7. Le roi octroya en 1473 le monopole de la malagueta à Fernào Gomes jusqu'au milieu du XVIe siècle.
Au Sierra Leone, vers 1506-1510, la malagueta « croît dans les herbes... il y a une tige très lisse et auprès de la racine sur la terre, sortent des gousses où se trouve la malagueta, on les tire et les sèche ». La récolte s'effectue en novembre de chaque année 8.
Les Portugais réussirent à monopoliser, malgré quelques accrocs, le commerce du littoral africain (or, épices, captifs) jusqu'en 1510-1513 9. Ce monopole souffrit par la suite de la concurrence des Français puis des Anglais et plus tard des Hollandais. Les Français commencèrent très tôt à fréquenter la « Côte des graines », malgré les interdictions portugaises. L'examen des Actes de tabellionage permet d'affirmer que les armements se poursuivirent dans les ports de Normandie de 1574 à 1621 10. On peut se fonder sur les sources portugaises pour affirmer que les armements français pour la côte d'Afrique commencèrent dès le début du XVIe siècle. Après la réunion de l'Espagne et du Portugal en 1580, les Espagnols prirent des mesures très brutales contre les navires français qui se rendaient au Brésil. Ils en brûlèrent dix-huit en 1582 et sept en 1583, ce qui provoqua les plaintes des marchands de Rouen en 1584 n. Les contrats d'armement des navires se rapportent à des voyages vers la Guinée, la côte de Sierra Leone, les Isles ou Indes du Pérou. Après le faux départ de 1503 - voyage de Binot Paulnier de Gonneville - les armements se multiplièrent de 1516 à 1550. Une troupe de Brésiliens séjourna à Rouen à cette époque. Les marchands de Honfleur avaient « composé entre eux une alliance » dès 1525 pour trafiquer avec le Brésil tous les ans . Les navires qui se rendaient au Brésil, armés en Normandie, suivaient, comme ceux qui allaient aux Isles du Pérou, un itinéraire qui les faisait passer par Madère, les îles du Cap Vert et la côte d'Afrique. Ils faisaient une escale de longue durée au Sierra Leone, au cap des Trois-Pointes, avant d'appareiller pour le Brésil.
Comme le remarquèrent deux auteurs en 1889, « il est bien difficile de croire que ces voyages qui commençaient par une visite aux marchés africains pour se continuer vers l'Amérique du Sud, n'avaient pas un autre but que la recherche des produits du sol. A nos yeux, le plus grand nombre des capitaines traitaient du bois d'ébène avant de traiter des bois de teinture au Brésil »13.
La traite négrière française au XVIe siècle demeure encore un champ de recherche peu étudié. Qu'attendent les spécialistes français pour analyser les armements négriers, les marchands, les marins, les navires, les campagnes maritimes, les associations et les bénéfices, les entreprises de pillage, voire de piraterie ?...

 

 

 

 

 

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