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DE L'OUBLI A L'HISTOIRE
Oruno D. Lara
Espace et identité caraïbes
Guadeloupe Guyane Haïti Martinique
L'AFRIQUE DES ORIGINES
A la fin du XVe siècle, ce ne sont pas deux mondes,
mais trois mondes qui se rencontrent : Afrique, Europe, Amérique.
Tout commence en Afrique : l'homme, l'agriculture, les Etats, la civilisation
et, du VIIIe au XVe siècle, la Traite négrière vers
la Méditerranée européo-africaine.
Selon les apports récents de la science, il s'est produit en Afrique
il y a huit millions d'années la réactivation du grand sillon
de la Rift Valley qui a coupé le continent, du nord au sud, dans
la partie équatoriale. Des différences climatiques et la
végétation, forêts humides à l'ouest, savanes
à l'est, ont permis l'apparition des chimpanzés à
l'ouest de la lignée humaine. Les hominidés s'individualisèrent
avec la divergence des Australopithecus et des chimpanzés. La lignée
évolua avec Australopithecus Afarensis, Australopithecus sp., Australopithecus
Aethiopicus, Australopithecus boisei et Homo habilis. Cette évolution
culmina avec l'apparition de l’Homo sapiens sapiens vers 200 000
ans av. J.-C., sa migration à travers les continents et son adaptation
aux différents biotopes. La notion de races humaines a été
définitivement éliminée de la conception scientifique.
Le berceau de l'humanité se localise en Afrique. Les premiers hommes
ont été de purs produits de la sécheresse : ils sont
noirs et africains.
*
Quelle est cette Afrique que découvrent les caravelles portugaises
après avoir doublé le cap Bojador en 1430 ? Il y a la vision
des Portugais, embrouillée par la légende, par la géographie
de Ptolémée et par les récits fantaisistes des auteurs
gréco-latins. Quelle perception de l'Afrique avait Christophe Colomb,
qui s'est rendu jusqu'au fort de Sào Jorge da Mina vers 1486 ?
Il a vu les premiers réseaux du trafic négrier reliant les
côtes africaines au Portugal. Arrivé aux Caraïbes en
1492-1493, il ne cessera de penser, de projeter un commerce visant la
déportation et la vente des indigènes en Espagne. Choc de
deux mondes comme on disait en 1992 pour le cinquième centenaire
? Non, choc de trois mondes : Afrique, Europe, Caraïbes/Amériques.
Quand Colomb pénètre dans la Méditerranée
des Caraïbes, il y a plus d'un demi siècle que la traite négrière
a été inaugurée par la rotation des caravelles portugaises.
D'après Fernand Braudel, « les Portugais et les autres Européens
ne trouvèrent en Afrique, au bord de l'océan, qu'une poussière
de tribus, ou des Etats médiocres sur lesquels il était
impossible de faire fond. Les Etats un peu consistants, tels le Kongo
ou le Monomotapa, se situaient à l'intérieur des terres,
comme protégés par l'épaisseur du continent et la
ceinture côtière de sociétés politiquement
peu ou mal organisées. Les maladies tropicales, si nocives au long
des côtes, ont peut-être aussi fait un autre barrage. On en
doutera, malgré tout, puisque l'Européen a surmonté
ces mêmes obstacles dans les régions tropicales d'Amérique.
Autre raison plus sérieuse : l'intérieur africain a été
défendu par la relative densité de son peuplement, la vigueur
de sociétés qui, à la différence des Amérindiens,
connaissaient la métallurgie du fer et comptaient souvent des populations
belliqueuses. (...) Bref les Européens se trouvent partout devant
des économies primitives encore ».
Les historiens africains, en revanche, Cissoko, Niane, C.A. Diop, revendiquent
une histoire qui s'articule autour des grands empires, Ghana, Mali, Songhay,
Kanem-Bororu, Kongo, Munhumutapa, Zimbabwe, des royaumes et des cités-Etats
(Hawsa). Quel parti choisir ? Quelle direction prendre ? Au vrai, deux
problèmes se posent : l/ Quelle était l'Afrique du XVe siècle
? ; 2/ Comment expliquer que l'Afrique ait échangé pendant
si longtemps avec des étrangers, arabo-musulmans et européens,
des hommes, des femmes et des enfants contre des marchandises ? La traite
négrière musulmane dure du VIII au XXe siècle. La
traite négrière européenne du XVe au XIXe. Cela semble
impensable, incroyable, que des Africains aient pu se livrer à
ce trafic pendant tant de siècles alors qu'ils pouvaient arrêter
l'hémorragie, se défendre, faire face aux agresseurs. Les
recherches récentes montrent au contraire qu'ils ont été
consentants, collaborateurs actifs de ce commerce fondé au départ
sur la chasse à l'homme.
Entre la vision de Braudel et celle des historiens africains contemporains
- qui diffère de celle des africanistes que nous écartons
du débat -y a-t-il place pour une troisième voie de la recherche
? Voie critique s'appuyant sur quelques certitudes et non sur des conjectures.
Disons-le tout net : impossible pour l'instant, et sans doute pour longtemps,
faute de données archéologiques, de documents pour étayer
les constructions de l'histoire. Nous sommes donc réduits, pour
l'Afrique, à avancer en aveugle, d'hypothèses en incertitudes,
à travers le brouillard d'une histoire où se mélangent
encore les mythes anciens, les récits des griots ou des initiés
supérieurs, l'interprétation relative des dja Akan.
Il nous faudra attendre encore des années avant que se multiplient
les ouvertures (séminaires, colloques), les fouilles archéologiques,
l'examen analytique des sources écrites (européennes, arabes,
asiatiques) qui nous permettront de progresser dans la connaissance de
l'Afrique. Connaîtra-t-on jamais l'Afrique ? Finirons-nous par déchiffrer
ses mystères ? Dès l'origine, ne l'oublions pas, la civilisation
africaine est née avec ses secrets qui constituent sa défense,
ses volets défensifs qui ont si bien fonctionné pendant
des millénaires ! L'Afrique, énigmatique personnage, ne
se dissocie pas de sa cuirasse d'éléments politiques, culturels
et symboliques (les masques par exemple) datant de l'occupation humaine
du Sahara fertile. L'introduction du chameau en Afrique du Nord vers le
IIe siècle permettra une circulation caravanière à
travers le Sahara.
*
L'océan Atlantique aurait-il été traversé
avant Colomb ? Mansa Kanku Musa, selon Al-'Umari, parlait en ces termes
de son prédécesseur à la tête du Mali : il
« ne croyait pas que l'océan était impossible à
franchir. Il voulait parvenir à son extrémité et
se passionna, il équipa deux cents embarcations qui étaient
pleines d'hommes et autant qui étaient remplies d'or, d'eau et
de provisions, de quoi faire face à plusieurs années. Il
dit alors à ceux qui étaient préposés à
ces embarcations : ne revenez qu'après avoir atteint l'extrémité
de l'océan ou si vous avez épuisé vos provisions
ou votre eau. Ils partirent. Leur absence se prolongea. Aucun ne revenait,
alors que de longues périodes s'écoulaient. Enfin revint
une embarcation, une seule. Nous interrogeâmes le chef sur ce qu'il
avait vu et appris. Nous avons voyagé un long temps jusqu'au moment
où s'est présenté en pleine mer un fleuve au courant
violent. J'étais dans la dernière embarcation. Les autres
s'avancèrent et, lorsqu'elles furent en ce lieu, elles ne purent
revenir et disparurent. Nous n'avons pas su ce qui leur advint. Moi, je
revins de cet endroit-là sans m'engager dans le fleuve. Le sultan
repoussa son explication. Il fit préparer dans la suite deux mille
embarcations, pour lui et ses hommes et mille pour l'eau et les provisions.
Ensuite, il m'installa comme son remplaçant, s'embarqua sur l'océan
avec ses compagnons et partit. Ce fut la dernière fois que nous
le vîmes, lui et ses compagnons ...».
La tradition orale du Mali a conservé en effet les traces d'expéditions
maritimes organisées sous le règne du roi Aboubakari II
en 1310-1311. Il prit le commandement d'une flotte de gros bateaux approvisionnés
en eau et en nourriture, qui partit vers l'ouest. Après avoir traversé
l'Atlantique, ces navigateurs africains auraient-ils atteint la région
des isthmes et le Mexique, comme semblent le croire certains auteurs obsédés
par une présence africaine aux Caraïbes ? D'autres conjectures
concernant une navigation arabe en Amérique du VIIIe au Xe siècle
se fondent sur des récits de voyages, des chroniques arabes et
sur la fameuse carte de l'amiral turc Piri Reis dressée en 1513.
Une présence arabe aurait même été attestée
au Venezuela dès le VIIIe siècle, selon Cyrus Cordon.
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